Basculant entre le mythe doré de la fabuleusement riche reine de Saba et la dure réalité d’un pays écrasé par guerres civiles et catastrophes naturelles, l’Ethiopie a longtemps eu du mal à entrer dans la modernité. En revanche, cette entrée qu’elle réussit aujourd’hui si bien sur la scène économique africaine et mondiale, est – on peut le dire – presque aussi éclatante que l’arrivée de la reine de Saba à Jérusalem, quelques trois mille ans plus tôt !
Car, plus d’une émergence, c’est d’un vrai avènement qu’il s’agit. Cette Ethiopie qui en 1984- 1985 (on est nombreux à s’en souvenir) a bouleversé le monde avec les images de ses populations agonisant de faim et suscité une vague internationale de sympathie aux dimensions jamais plus égalées, cette même Ethiopie aujourd’hui fascine avec sa fulgurante percée économique et la rapidité avec laquelle elle quitte la pauvreté.
De la famine généralisée au PIB qui croît de plus de 10% par an.
En 2015, trente ans exactement après la grande détresse des années quatre- vingts, le pays atteignait un taux de croissance du PIB de 10,2%. En 2000 encore, rien ne présageait une si fabuleuse émergence : avec un PIB annuel par tête d’habitant de seulement 650 dollars, la moitié de la population éthiopienne vivait sous le seuil d’extrême pauvreté. Une longue suite de facteurs néfastes avait mené à cette situation dramatique : la guerre civile des années 70 et 80 du siècle passé, une idéologie marxisante au pouvoir, la gestion désastreuse des ressources et des finances. Quand on ajoute à cela le fait que l’Ethiopie possède relativement moins de richesses naturelles que ses voisins africains, on obtient l’image d’un pays que rien ne prédestinait à un retournement favorable de la situation.
Et pourtant, le retournement s’est produit ! – et cela jusqu’à inverser les indicateurs mêmes qui, en 2000 encore, plaçaient l’Ethiopie à la troisième position des pays les plus pauvres de la planète. Avec un PIB par tête d’habitant drastiquement élevé depuis 2015 et un taux de pauvreté se résorbant à 31%, l’Ethiopie s’est hissée, selon l’édition 2017 du Global Economic Prospects de la Banque Mondiale, à la première place parmi les pays à la croissance la plus rapide au monde.
Comment ce miracle est-il devenu possible ? Ou, plutôt, comment a-t-il été rendu possible ? Essentiellement agricole, avec une agriculture qui contribue pour un quart à sa croissance, l’économie éthiopienne doit aussi beaucoup à son industrie. Si celle-ci ne représente même un tiers de la croissance, elle est bien le secteur qui se développe le plus rapidement (une hausse de plus de 20% par an au cours des cinq dernières années, d’après des données rapportées par Jeune Afrique). L’Ethiopie ambitionne la position de premier exportateur de textile et de juteux marchés en Asie (Bangladesh, Vietnam).
Le gouvernement investit massivement dans les infrastructures, ce qui fait de l’Ethiopie le pays africain où l’investissement public est les plus élevé.
Quels sont les pronostics économiques ?
Est-ce que le miracle économique éthiopien va durer ? Les pronostics du Fonds monétaire international à ce sujet sont très optimistes. Le FMI prévoit une croissance de 6, 2 du PIB éthiopien par tête d’habitant en 2022, soit la croissance la plus grande, après celles de l’Inde et du Myamar, dans la catégorie des pays de plus de 10 millions d’habitants. Mais le « miracle » dépend aussi de quelques conditions bien réelles et bien concrètes, l’une desquelles est liée au maintien de la stabilité politique dans le pays. Les animosités croissantes entre les groupes ethniques Oromos et Somalis menacent de plus en plus la paix civile. L’autoritarisme rampant du gouvernement en place, très sensible depuis 2015, non seulement ne contribue à la paix sociale comme il prétend le faire mais exacerbe les tensions et favorise leur basculement en un conflit ouvert. Sur le plan économique, tout cela se traduit par un effet dissuasif sur les investisseurs.
Si l’Ethiopie arrive à éloigner le spectre à la fois d’une guerre civile et d’un régime de type trop directif – qui sont d’ailleurs les deux fléaux traditionnels de l’Afrique – elle aura toutes les chances de continuer sa marche triomphale qui, depuis 2010, ne cesse d’émerveiller les spécialistes. Avec une infrastructure drastiquement améliorée, une population de mieux en mieux formée, et avec – non en dernier lieu – de copieux investissements chinois, l’Ethiopie, terre ancienne tournée vers l’avenir, peut écrire l’une des pages les plus remarquables de l’émergence économique de l’Afrique.